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CÔTÉ COUR

Le Syndic de l’Ordre des ingénieurs condamné à des dommages de 100 000,00$- Après une longue saga, la Cour d’appel rend une décision importante sur l’immunité conférée par l’article 193 du Code des professions aux syndics et aux ordres professionnels.

Ordre des ingénieurs c. Gilbert, [2016] QCCA 1323.

Le demandeur, ingénieur de profession, a fait l’objet de nombreuses plaintes de nature disciplinaire en lien avec un rapport d’expert déposé dans un dossier civil. Ultimement, toutes les plaintes ont été rejetées et le demandeur réclame des syndics et de l’Ordre des dommages en remboursement d’honoraires extrajudiciaires et en préjudice moral.

Faits pertinents

Tout débute en 2004, alors qu’Yves Gilbert (« Gilbert »), ingénieur, réalise une contre-expertise relativement à un chalet dont on soupçonne des vices cachés dans un dossier judiciarisé. Gilbert suggère certains travaux correctifs, mais ils sont moindres que ceux recommandés par l’expert de la partie adverse. Dès lors, une plainte disciplinaire est déposée pour avoir fait une expertise de complaisance, mais elle sera jugée irrecevable par le Syndic.

Les correctifs  suggérés par Gilbert sont finalement effectués, mais l’expert adverse suggère que le chalet demeure dangereux et que les problématiques ne sont toujours pas réglées.

Une nouvelle plainte est faite en 2006 et elle aboutit au dépôt par le syndic de sept chefs d’infractions disciplinaires. En 2008, Gilbert fut acquitté de tous les chefs d’infraction par décision du Conseil de discipline de l’Ordre des ingénieurs (« l’Ordre »).

C’est alors que le syndic adjoint André Prud’homme (« Prud’homme ») interjette appel de cette décision relativement aux chefs d’accusation 4, 5, 6 et 7, au Tribunal des professions. Le tribunal confirme en 2010 l’acquittement des chefs numéros 4, 5 et 7, et prononce un verdict de culpabilité sous le chef numéro 6.

Prud’homme dépose alors une requête en révision judiciaire à la Cour supérieure et Gilbert fait de même. En 2012, la Cour rejette la requête en révision du syndic et accueille celle de Gilbert, et elle prononce l’acquittement au chef d’accusation numéro 6. La décision initiale du Comité de discipline est donc rétablie par la Cour supérieure.

Gilbert intente alors un recours en dommages en Cour supérieure contre l’Ordre des ingénieurs et les syndics Louis Tremblay et Prud’homme. En 2014, la Cour supérieure accueillie partiellement le recours, condamnant les trois défendeurs à  verser 100 000,00$ à Gilbert, en remboursement d’honoraires extrajudiciaires et en préjudice moral pour les dommages causés par le traitement du dossier disciplinaire.

Décision de la Cour d’appel et analyse

La décision est portée en appel par les défendeurs. En août dernier, la Cour d’appel a confirmé la condamnation monétaire prononcée par la Cour supérieure, à l’égard du Syndic Tremblay et de l’Ordre, mais elle a exclu le syndic Prud’homme de la condamnation, car sa seule faute reprochée était d’avoir porté en appel la décision du comité de discipline, ce qui ne saurait constituer une incurie ou une négligence grave.

L’article 193 C.P. stipule que les syndics ne peuvent être poursuivis en justice pour les actes accomplis de bonne foi, mais cette immunité est « relative ».

Dans les manquements reprochés au syndic Tremblay, on lui impute le fait d’ignorer le contexte litigieux de l’affaire et  le fait d’avoir aveuglément suivi les recommandations et les propos contenus dans le rapport d’expert de Michel St-Germain (« St-Germain »), qu’il avait lui-même mandaté. Or, ce rapport était « truffé d’erreurs et d’omissions et s’écartait des normes élémentaires ». La Cour conclut que ces manquements constituent de la négligence grave et que par conséquent, l’immunité conférée par l’article 193 C.P. est inopérante.

Par ailleurs, la Cour distingue la négligence de l’expert St-Germain, qui ne peut engager la responsabilité de l’Ordre, tandis que celle du syndic Tremblay entraîne cette responsabilité du fait d’autrui.

Finalement, dans sa décision, la Cour d’appel énonce les objectifs visés par la justice disciplinaire ainsi que les rôles et devoirs du syndic : Les obligations de la justice disciplinaire étant certes la protection du public, la Cour énonce que les instances disciplinaires doivent également « traiter équitablement ceux dont le gagne-pain est placé entre ses mains ». C’est pourquoi une faute commise de bonne foi de la part d’un syndic ne saurait engager sa responsabilité civile. Par contre, si la faute peut être qualifiée de négligence grave, l’immunité de 193 C.P. ne devient plus applicable. Quant au travail du syndic, il doit être fait avec soin et il doit examiner minutieusement la preuve recueillie afin de conclure « que le dossier est complet, probant et que la plainte paraît justifiée sur tous les chefs d’accusation envisagés ». Finalement, le rôle du syndic n’est pas de « gagner une cause », mais bien d’éclairer le Comité dans la poursuite de sa mission première, la protection du public.

4 Oct, 16

 

 

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