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CÔTÉ COUR

Harponnage – Apposition frauduleuse d’une signature – Virement bancaire de 4 945 355,26 $US – Obligation de vérification – Répartition du paiement de l’indemnité entre les assureurs

Coop fédérée c. Compagnie d’assurances générales Co-Operators, [2016]  QCCS 6302

Suite à un stratagème frauduleux d’harponnage, la Coop Fédérée (« la Coop ») est victime d’un vol de 4 946 355,26 $US par virement électronique. Elle réclame ce montant de ses assureurs, la Compagnie d’assurance Liberté Mutuelle (« Liberté Mutuelle ») et la Compagnie d’assurance générale Co-Operators (« Co-Operators »). Cette dernière se tourne à son tour contre la Banque Nationale du Canada (« la BNC »), alléguant qu’elle devrait supporter la perte.

La propriété des sommes volées

Co-Operators soulève l’argument que les sommes appartenaient à la BNC, et non à la Coop, au moment du transfert frauduleux. Elle se base sur le fait que le compte de banque en $US de la Coop, duquel provient le transfert, était à découvert. La Coop n’ayant aucun fonds dans son compte en $US et l’ordre étant invalide pour cause de fraude, le transfert effectué par BNC provenait nécessairement de ses propres fonds. Cette dernière devrait donc subir la perte causée par les fraudeurs.

La Cour rejette cet argument.

D’abord, elle explique que la Coop est devenue propriétaire des sommes d’argent dès que l’avance fut effectuée à son compte à découvert par la BNC.

De plus, il est établi qu’une banque recevant un ordre de paiement doit effectuer quatre vérifications :

  1. L’ordre doit émaner de son client;
  2. L’ordre ne comporte aucune anomalie;
  3. L’ordre est signé par les personnes autorisées;
  4. Le code de vérification est respecté.

Dans les faits, l’ordre devait comporter les signatures de deux personnes autorisées par la Coop. La première signature figurant sur l’ordre était authentique, bien qu’obtenue de manière frauduleuse. La deuxième signature était reproduite à partir d’un document qui portait la signature légitime de la personne autorisée.

La Cour estime que la BNC ne pouvait déceler l’apposition frauduleuse de la deuxième signature puisque l’ordre de virement a été reçu en format électronique. Elle ajoute que la situation serait différente en présence d’un chèque ou d’un billet.

Toutes les obligations de vérification ayant été respectées, la BNC n’assumera pas la perte.

Police générale ou spécifique

La Cour doit ensuite déterminer s’il existe une police spécifique qui couvre le risque. Dans l’affirmative, cette dernière couvrira prioritairement les sommes réclamées.

La Coop détient une police d’« assurance des biens et pertes d’exploitation » par laquelle Co-Operators assume les premiers 15 millions $ de perte. Cette police vise « les biens de toute nature et de toute description appartenant à l’assuré » et « tous les risques pouvant directement atteindre les biens assurés ». Il y a une franchise de 5 000 $ ainsi qu’une rétention de 500 000 $.

Quant à la police de Liberté Mutuelle, celle-ci est intitulée « Contrat d’assurance contre la fraude et le détournement » pour une couverture de 1 million $ comportant une franchise de 100 000 $.

Co-Operators soutient que la police de Liberté Mutuelle est une police spécifique couvrant la fraude et qu’ainsi, elle devrait indemniser la Coop jusqu’à concurrence de sa limite de couverture, soit 1 million $, avant qu’elle-même soit contrainte à assumer le solde.

La Cour rejette l’argument. Elle explique que le titre d’une police ne la rend pas nécessairement spécifique. Un contrat d’assurance est spécifique s’il identifie de manière précise chaque risque et chaque bien couvert. Bien que la police de Liberté Mutuelle s’intitule « Contrat d’assurance contre la fraude et le détournement », elle couvre plutôt tous les biens de la Coop ainsi que tous les risques pouvant atteindre ces derniers. Le fait qu’il y ait des exclusions prévues à une police d’assurance « tout risque » ne fait pas d’elle une assurance spécifique. La Cour conclut donc qu’il s’agit d’une police générale.

La répartition du paiement de l’indemnité entre les assureurs

En présence de deux polices générales, il faudra conclure à une pluralité d’assurance pour que le fardeau d’indemnisation soit réparti entre les assureurs.

Pour conclure qu’il y a effectivement une pluralité d’assurance, la Cour examine six critères :

  1. L’identité d’assuré;
  2. L’identité d’objet;
  3. L’identité d’intérêt dans l’objet;
  4. L’identité de risque;
  5. L’existence d’une autre police d’assurance en vigueur et recouvrable;
  6. L’absence d’exclusion pertinente dans les contrats.

Les critères étant rencontrés en l’espèce, la Cour doit déterminer comment répartir le fardeau d’indemnisation en l’espèce.

Pour ce faire, la Cour procède à l’examen de la jurisprudence au Québec, aux États-Unis et dans les provinces de Common law. Elle conclut en adoptant l’approche utilisée par la Cour supérieure dans Protection Mutual Insurance Company c. Compagnie d’assurance Guardian du Canada en 1999.

Celle-ci propose une formule qui est basée sur la couverture maximale de chaque police. Ainsi, la contribution de l’assureur avec la limite de couverture la plus basse (« Assureur A ») se détaille comme suit :

equation

 

La Cour justifie son choix en invoquant que la doctrine en assurance de biens prône l’approche fondée sur la responsabilité maximale. De plus, la prise en compte de la franchise permet un résultat plus nuancé qui tient compte des particularités de chaque police. L’intention des parties exprimée dans les modalités du contrat est donc mieux respectée.

Appliquant la formule, la Cour déclare que la contribution de Liberté Mutuelle se chiffrera à 273 875,53 $CAN. Le solde, soit 5 521195,15 $CAN, sera assumé par Co-Operators.

21 Mar, 17

 

 

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