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CÔTÉ COUR

Assurance invalidité Accès au dossier de la R.R.Q. refusé

WICKHAM c. COMPAGNIE D’ASSURANCE-VIE CROIX BLEUE DU CANADA – 2011 QCCS 882

Faisant l’objet d’une réclamation pour prestations d’assurance invalidité en attente d’une audition au mérite, la Croix Bleue demande à la cour la mise à jour du dossier médical de l’assuré, ainsi que l’accès au dossier du demandeur auprès de la R.R.Q., dont la demande de prestations d’invalidité aux termes de la Loi sur le Régime de rentes du Québec1 (la « Loi ») lui a été refusée.

Pour la mise à jour, l’affaire s’est réglée rapidement :

[11]

Il est non seulement pertinent mais nécessaire que le juge du procès puisse être informé de tous les aspects de l’état de santé du demandeur et des circonstances le rendant invalide au sens de la police d’assurance qui le couvre et de la définition d’invalidité qui y est énoncée. Pour cela, la défenderesse a le droit de connaître l’état de santé pertinent du demandeur à tout moment ou celui-ci réclame des prestations d’invalidité.

Pour l’accès au dossier de la R.R.Q., il faut dire que la Croix Bleue a justifié sa demande en alléguant seulement que ce dossier « pourrait contenir des renseignements pertinents sur l’état de santé et la capacité de travailler de celui-ci » (paragr. 4).

Après analyse et constatant qu’il n’existe peu ou pas de précédents, le tribunal détermine qu’il n’y a pas de pertinence entre la demande de prestations selon le contrat d’assurance et la demande selon la Loi. Le tribunal ajoute :

[16]

[…] la définition d’invalidité de la R.R.Q. étant beaucoup plus restrictive et limitative que celles que l’on retrouve dans les polices d’assurance privées où, en contre-partie d’une prime plus ou moins élevée, l’assureur propose une couverture plus ou moins large en matière d’invalidité mais certainement plus large que celle de la Loi sur le Régime de rentes du Québec et de ses règlements (la Loi).

[17]

Donner accès à l’assureur au dossier du demandeur auprès de la R.R.Q. n’apportera pas d’éclairage au débat de la présente instance. Cette démarche est donc non-pertinente car le demandeur pourra être invalide en vertu des termes de la police de la Croix Bleue et ne pas l’être aux termes de la Loi.

L’accès au dossier de la R.R.Q. est-il à ce point non-pertinent?

Pour ce faire, il faut d’abord comparer les définitions d’invalidité propres au contrat d’assurance avec celles de la Loi. Qu’en est-il du contrat d’assurance? On n’en sait rien car le tribunal n’a pas jugé approprié de reproduire les définitions successives pertinentes. Néanmoins, ce genre de contrat prévoit généralement deux définitions d’invalidité : une première visant l’incapacité pour l’assuré, en raison d’une blessure ou d’une maladie, d’exercer son emploi habituel et une seconde, après une période plus ou moins longue qui est typiquement de 24 mois, visant l’incapacité de l’assuré d’exercer tout emploi auquel il est apte en raison de son éducation, sa formation et son expérience.

Selon la Loi, pour se qualifier, le prestataire doit être régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice ou, s’il a 60 ans, régulièrement incapable d’exercer son occupation habituelle au début de l’invalidité. Dans tous les cas, une invalidité doit vraisemblablement entrainer le décès ou durer indéfiniment2.

Dans le cas sous étude, sous quelle définition du contrat d’assurance nous trouvons-nous? L’assureur a-t-il versé les prestations en vertu de la première définition de sorte que seule la deuxième définition est en litige? L’assuré a-t-il 60 ans ou plus? Quelle était son occupation pré-invalidité? Les occupations auxquelles il est apte en raison de son éducation, de sa formation et de son expérience sont-elles rémunérées en vertu du salaire minimum, correspondant ainsi à l’occupation véritablement rémunératrice de l’article 95? Le tribunal a plutôt choisi de généraliser. Certes, la demande de l’assureur aurait peut-être dû être plus ciblée et invoquer des moyens plus précis mais, en définitive, une analyse complète aurait pu éclairer davantage.

De plus, une différence des définitions entre le contrat d’assurance et la Loi rend-t-elle à ce point non-pertinente la demande d’accès au dossier de la R.R.Q.? Personne ne prétendra qu’une décision de la R.R.Q. lie la Cour supérieure, mais la décision de la R.R.Q. peut fort bien révéler, par exemple, des facteurs psychologiques ou motivationnels pouvant être de toute première importance pour l’assureur. N’oublions pas que ce n’est pas la décision de la R.R.Q. que l’assureur veut ici obtenir, mais bien le dossier de cette dernière. Ce dossier comprendra non seulement les dossiers médicaux auxquels, par ailleurs, l’assureur aura accès, mais également les déclarations de l’assuré, ce qui inclut sa propre description de ses symptômes, objectifs comme subjectifs, l’évolution de sa maladie, les médicaments consommés, etc. L’assuré, à n’en point douter, a fait le même type de déclarations à ses médecins traitants, dont l’accès aux dossiers est déjà acquis à l’assureur.

Le tribunal l’a déjà réglé au paragraphe 11 précité : l’assureur a le droit de connaître l’état de santé pertinent de l’assuré à tout moment où celui-ci réclame des prestations d’invalidité. Cette règle devrait s’appliquer à tous égards, peu importe que ce soit dans le dossier du médecin traitant ou dans le dossier d’un organisme comme la R.R.Q.

En fait, ne s’agit-il pas d’un formalisme indu que d’assujettir la recherche de l’information médicale, que le tribunal reconnaît comme nécessaire, à la finalité du cadre dans lequel l’information se retrouve? À ce compte, il faudrait refuser l’accès au dossier du médecin traitant car son intervention n’est aucunement en lien avec la définition du contrat de l’assureur!

Il est bien connu que celui qui invoque son état de santé ne peut refuser accès à son dossier médical sous prétexte de confidentialité. Il nous semble que l’intervention du tribunal aurait dû, ici, se limiter à vérifier que l’assuré invoquait devant la R.R.Q. la même condition de santé qu’à l’assureur. Le juge du fond pourra toujours freiner l’ardeur de l’assureur qui invoque à son compte la décision de la R.R.Q. mais, d’ici-là, l’assureur devrait avoir l’avantage de consulter tous les dossiers dans lesquels l’état de santé faisant l’objet de la réclamation est également soulevé, que ce soit les dossiers médicaux, les dossiers d’organismes gouvernementaux ou les dossiers d’autres assureurs.

20 Mar, 15

 

 

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